Crise du logement: le monde municipal à la croisée des chemins

On le sait maintenant, nous sommes non seulement en crise du logement, mais les pronostics pour s’en sortir à court terme ne sont pas très roses.

Bien connue déjà il y a quelques années par les moins nantis et dans certains territoires, cette situation de crise de l’offre et de l’abordabilité s’est généralisée au Québec. Il est reconnu qu’un seuil de logements disponibles dans une région qui tombe sous la barre de 3%, met à mal son abordabilité. Une situation qui semble perdurer dans la plupart des régions du Québec, pire encore, plusieurs villes ont vu leur taux d’inoccupation descendre sous la barre du 1%.

Dans une telle situation, il est normal de voir plusieurs acteurs s’écrier que nous devrons tous travailler ensemble pour atténuer les effets de la crise. Si une des solutions est de mettre des jalons pour accélérer la construction de nouveaux logements, la question qu’on doit se poser pourrait être: mais pour construire quoi? Et pour qui?

La crise atteint maintenant la classe moyenne, ce qui, dans le passé, était une situation qui touchait surtout les ménages à plus faibles revenus. Les conséquences peuvent être nombreuses: insalubrité, logement trop petit, éloignement de son milieu de vie, inabordabilité (considérée quand plus de 30% du revenu du ménage est consacré aux dépenses en logement).

Si le monde municipal a toujours joué un certain rôle en matière d’habitation, (salubrité, terrains, émission de permis, zonage) nous avons vu apparaître, avec cette crise, plusieurs acteurs municipaux qui se demandent comment en faire davantage pour préserver ou créer des milieux de vie intéressants, dynamiques et surtout abordables pour leurs concitoyens et concitoyennes. 

Le premier constat que je fais dans l’accompagnement des municipalités et des villes, concerne les ressources insuffisantes pour pallier aux besoins en habitation. Les décideurs municipaux voudrait en faire plus et deviennent souvent  impatients à force d’attendre l’argent des paliers supérieurs qui ont sous-financé ce secteur depuis plusieurs années. Malheureusement, les ressources et le cadre légal municipal ne permettent que partiellement une implication accrue de leur part. Mais néanmoins…

C’est avec ce constat que certaines villes ont commencées à examiner les outils qu’elles peuvent mettre de l’avant pour soutenir davantage le développement de logements abordables. Avec la pandémie, l’accroissement de la crise et l’arrivée de nouveaux élu-e-s en 2021, ce mouvement semble s’être accéléré. 

Plusieurs de ces villes choisissent de développer quelques outils pour tenter de contribuer davantage. Certaines villes choisissent même de diriger leurs actions, leurs ressources ou leurs réglementations en priorisant l’habitation sans but lucratif détenus par les OSBL et les coop d’habitation ou les offices municipaux d’habitation (logement public). 

Ce choix est audacieux, car d’une part, ces élu-e-s prennent partie pour des logements publics et communautaires qui desservent les ménages subissant ou à risque de subir les affres de cette crise. Ce choix permet également d’intervenir non seulement sur la crise présente, mais également sur celles du futur, puisque ces logements hors marché privé et protégés de la spéculation immobilière pourront rester abordables de manière pérenne.

On voit aussi poindre ici et là des politiques, réglementations ou actions qui ne sont pas limitées au secteur sans but lucratif, dans les grandes villes comme dans les plus petites municipalités. À l’instar des paliers supérieurs qui ouvrent les ressources en habitation abordable aux promoteurs privés, certaines villes développent également des outils pour du logement abordable ouverts au privé. Les exigences des gouvernements dans le cadre de ces programmes, comme celles de ces villes qui vont dans le même sens, sont que le prix du logement fourni soit au prix médian de la région ou avec une réduction allant de 10% à 20% pour une période fermée dans le temps et souvent sans réel contrôle.

Le prix médian étant déjà hors de portée, non seulement pour les ménages à revenus modestes mais aussi pour une bonne partie de la classe moyenne, une réduction de 10 ou 20% sur les loyers excluent toujours un grand pan des ménages pour se loger de manière abordable. Pire encore, la limite dans le temps pour l’engagement du promoteur, fait retourner à terme ces logements dans une spirale spéculative déjà bien connue.

Cette idée préconçue de l’abordabilité à tout vent évite un travail de fond que devrait peut-être faire le monde municipal avant de mettre en place ces bars ouverts. Une solution que d’autres villes tentent de mettre en place est de prioriser et même de réserver ce soutien à l’habitation abordable aux développeurs et acquéreurs sans but lucratif (OBNL/COOP/Office d’habitation). Non seulement ces dernières agissent sur la crise présente, mais elles s’assurent que l’argent public serve à l’intérêt collectif à long terme, puisque ces logements ne retourneront pas dans une spirale spéculative.

Que ce soit dans le développement de nouveaux logements sociaux/abordables ou dans l’acquisition dans le marché privé pour les mettre à l’abri de la spéculation, le secteur des organisations sans but lucratif en habitation peut jouer un rôle important dans la résolution de la crise, en autant qu’ils aient l’attention des décideurs gouvernementaux mais également du milieu municipal.

Plusieurs attendent de pied ferme le plan d’action en habitation de la ministre France-Élaine Duranceau qui doit être présenté à la fin du mois. Cela pourrait être une très bonne occasion de réserver les ressources, sommes toutes limitées, aux développeurs sans but lucratif plutôt que de l’ouvrir également secteur privé. Le gouvernement Legault pourrait, par la même occasion, offrir au milieu municipal davantage de pouvoirs lui permettant de prioriser les organisations sans but lucratif en matière de décisions pour favoriser le développement de l’habitation abordable.

Richard Ryan

Consultant en habitation abordable

Le 10 novembre 2023

Crise du logement: quelles solutions pour la ministre Duranceau et les municipalités?

Crise du logement: quelles solutions pour la ministre Duranceau et les municipalités?

Le projet de Biotope City veut réunir la ville et la nature

Crédit photo: Radio-canada/Biotope city

L’actualité est toujours aussi foisonnante en matière de crise du logement. Les regards semblent maintenant être tournés vers la ministre Duranceau, responsable du dossier au Québec, dont nous attendons un plan d’action pour régler ou du moins soulager cette crise. Mais quelles solutions devrait-elle mettre de l’avant? Et surtout, avec quels moyens?

Une délégation québécoise est présentement à Vienne, en particulier des acteurs de l’économie sociale, afin d’examiner de plus près “le modèle viennois”. En espérant que cette délégation pourra porter à leur retour, le contenu de ce qu’ils auront appris aux décideurs politiques québécois.

Vienne, avec 62% de l’habitation hors marché privé, a réussi à maintenir une abordabilité en dehors des affres de la spéculation immobilière présente dans le marché privé et cela avec des logements de qualités et pour différentes couches sociales de la société.

Près des deux tiers de l’immobilier viennois est donc soit public (appartenant à la Ville) ou soit sans but lucratif, appartenant à des OBNL ou des coops. Ce qui permet à la capitale autrichienne d’éviter les crises du logement, car cette partie importante du parc immobilier est protégé de la spéculation immobilière et a un impact sur la régulation des prix de la partie détenue par le privé. De plus, le développement de nouveaux logements sans but lucratif est assuré par de nouveaux emprunts hypothécaires que ce parc peut se permettre chaque année, ainsi que par de nouvelles sommes que l’État injecte à cette fin.

Notre maigre 5% du parc immobilier québécois à l’abri de la spéculation (logement public ou communautaire) fait piètre figure à côté de celui de Vienne. C’est une raison principale qui nous place en situation fragile en matière d’habitation au Québec comme au Canada.

Bien sûr, Vienne ne s’est pas construite en un jour. C’est par sa ténacité et sa volonté continuelle de construire et de garder hors du marché privé durant près d’un siècle que cette ville européenne a réussi à maintenir et à développer une abordabilité pour une vaste partie de sa population.

Si nous nous dotions d’un objectif (même moins ambitieux que celui de Vienne) à moyen terme de 20% de logements hors marché privé, comme le stipulait récemment Marie-Josée Houle (défenseure fédérale en logement), dans un récent article du Devoir[1], on pourrait régler le sort de cette crise pour les plus vulnérables de façon durable. Ce qui aurait un impact positif pour l’ensemble des autres ménages. Pour ce faire, il faudrait concentrer nos efforts publics vers les logements sans but lucratif pour les protéger de la spéculation, plutôt que de s’éparpiller avec des mesures touchant l’ensemble du secteur de l’immobilier.

D’une part, par la construction de nouveaux logements sociaux et communautaires, mais également par l’acquisition par des sociétés immobilières sans but lucratif ou des coopératives de milliers de logements abordables du marché privé afin de les mettre à l’abri de la spéculation. Des mesures gouvernementales et municipales d’encouragement devraient être priorisées par les décideurs afin que ce secteur de l’économie sociale se développe davantage qu’il ne le fait actuellement.

Les efforts publics passés pour soutenir le marché privé dans la construction (notamment par les politiques de la SCHL) n’ont pas eu de résultats sur une abordabilité à long terme. Continuer dans cette voie serait une erreur.

Non seulement les efforts financiers des gouvernements devraient être dirigés vers de l’habitation abordable hors marché, mais également les efforts des villes et municipalités, dont les outils réglementaires qu’elles mettent en place, devraient s’adresser en priorité à l’habitation protégée de toute spéculation éventuelle. Crédit de taxe, stratégie foncière, programmes de subventions, allègement des règles et j’en passe. Ce type d’intervention pourrait être la pierre angulaire d’une vision de développement de l’habitation durablement abordable pour intervenir sur la crise d’aujourd’hui, mais aussi sur celle de demain.

Richard Ryan, consultant en habitation abordable

12 octobre 2023


[1] https://www.ledevoir.com/opinion/idees/797545/habitation-il-existe-cle-tirer-trait-crise-logement

Nouveau billet sur Noovo: une déconnexion du gouvernement Legault?

La déconnexion du gouvernement Legault sur la crise du logement est palpable…

Ce matin avec toutes les bourdes sorties récemment par la ministre de l’habitation France-Élaine Duranceau et du premier ministre Legault, je me suis demandé s’il n’y avait pas carrément une déconnexion de ce que peuvent vivre plusieurs milliers de Québécois à l’approche du premier juillet.

https://www.noovo.info/chronique/crise-du-logement-au-quebec-une-deconnexion-du-gouvernement.html

27 juin 2023