Crise du logement: quelles solutions pour la ministre Duranceau et les municipalités?

Crise du logement: quelles solutions pour la ministre Duranceau et les municipalités?

Le projet de Biotope City veut réunir la ville et la nature

Crédit photo: Radio-canada/Biotope city

L’actualité est toujours aussi foisonnante en matière de crise du logement. Les regards semblent maintenant être tournés vers la ministre Duranceau, responsable du dossier au Québec, dont nous attendons un plan d’action pour régler ou du moins soulager cette crise. Mais quelles solutions devrait-elle mettre de l’avant? Et surtout, avec quels moyens?

Une délégation québécoise est présentement à Vienne, en particulier des acteurs de l’économie sociale, afin d’examiner de plus près “le modèle viennois”. En espérant que cette délégation pourra porter à leur retour, le contenu de ce qu’ils auront appris aux décideurs politiques québécois.

Vienne, avec 62% de l’habitation hors marché privé, a réussi à maintenir une abordabilité en dehors des affres de la spéculation immobilière présente dans le marché privé et cela avec des logements de qualités et pour différentes couches sociales de la société.

Près des deux tiers de l’immobilier viennois est donc soit public (appartenant à la Ville) ou soit sans but lucratif, appartenant à des OBNL ou des coops. Ce qui permet à la capitale autrichienne d’éviter les crises du logement, car cette partie importante du parc immobilier est protégé de la spéculation immobilière et a un impact sur la régulation des prix de la partie détenue par le privé. De plus, le développement de nouveaux logements sans but lucratif est assuré par de nouveaux emprunts hypothécaires que ce parc peut se permettre chaque année, ainsi que par de nouvelles sommes que l’État injecte à cette fin.

Notre maigre 5% du parc immobilier québécois à l’abri de la spéculation (logement public ou communautaire) fait piètre figure à côté de celui de Vienne. C’est une raison principale qui nous place en situation fragile en matière d’habitation au Québec comme au Canada.

Bien sûr, Vienne ne s’est pas construite en un jour. C’est par sa ténacité et sa volonté continuelle de construire et de garder hors du marché privé durant près d’un siècle que cette ville européenne a réussi à maintenir et à développer une abordabilité pour une vaste partie de sa population.

Si nous nous dotions d’un objectif (même moins ambitieux que celui de Vienne) à moyen terme de 20% de logements hors marché privé, comme le stipulait récemment Marie-Josée Houle (défenseure fédérale en logement), dans un récent article du Devoir[1], on pourrait régler le sort de cette crise pour les plus vulnérables de façon durable. Ce qui aurait un impact positif pour l’ensemble des autres ménages. Pour ce faire, il faudrait concentrer nos efforts publics vers les logements sans but lucratif pour les protéger de la spéculation, plutôt que de s’éparpiller avec des mesures touchant l’ensemble du secteur de l’immobilier.

D’une part, par la construction de nouveaux logements sociaux et communautaires, mais également par l’acquisition par des sociétés immobilières sans but lucratif ou des coopératives de milliers de logements abordables du marché privé afin de les mettre à l’abri de la spéculation. Des mesures gouvernementales et municipales d’encouragement devraient être priorisées par les décideurs afin que ce secteur de l’économie sociale se développe davantage qu’il ne le fait actuellement.

Les efforts publics passés pour soutenir le marché privé dans la construction (notamment par les politiques de la SCHL) n’ont pas eu de résultats sur une abordabilité à long terme. Continuer dans cette voie serait une erreur.

Non seulement les efforts financiers des gouvernements devraient être dirigés vers de l’habitation abordable hors marché, mais également les efforts des villes et municipalités, dont les outils réglementaires qu’elles mettent en place, devraient s’adresser en priorité à l’habitation protégée de toute spéculation éventuelle. Crédit de taxe, stratégie foncière, programmes de subventions, allègement des règles et j’en passe. Ce type d’intervention pourrait être la pierre angulaire d’une vision de développement de l’habitation durablement abordable pour intervenir sur la crise d’aujourd’hui, mais aussi sur celle de demain.

Richard Ryan, consultant en habitation abordable

12 octobre 2023


[1] https://www.ledevoir.com/opinion/idees/797545/habitation-il-existe-cle-tirer-trait-crise-logement

L’abordabilité protégée (2e volet) où Vienne ne s’est pas construite en un jour…

Vienne détient 62% de son parc immobilier à l’abris de la spéculation, mais Vienne « la rouge » ne s’est pas construite en un jour…

La mairesse de Montréal est présentement à Vienne où 62% du parc immobilier est détenu par la ville de Vienne, des OBNL ou des coop.

Dans un article que j’ai publié en début de semaine, j’évoquais les différences entre une abordabilité du moment ou pour une période limitée avec une abordabilité protégée à perpétuité.

S’il est vrai que la construction massive de logements privés, pourrait avoir un impact positif sur les prix du moment, il faut reconnaître pour que cette solution soit durable, il nous faudra mettre à l’abris de la spéculation immobilière, une partie de ce parc immobilier .

Et Vienne devient un modèle pour toute ville ou juridiction du monde qui désire agir de manière durable sur une crise du logement qui est sans précédent. Montréal, les autres villes du Québec et même les petites municipalités, n’y échappent pas.

Complexe Alterlaa de Vienne, photo Isabelle Ducas de La Presse

Vienne ne s’est pas construite en un jour…

Pour arriver à 62% de leur parc immobilier en logements sociaux et abordables protégés (hors marché privé), Vienne a du prendre le taureau par les cornes dans un contexte d’une grave crise du logement à la sortie de la 1ère guerre mondiale, il y a plus d’un siècle. Aujourd’hui la championne du logement social compte 420 000 unités appartenant à la Ville ou à des organisations sans but lucratif. Quelques vastes chantiers ont contribué à construire ce patrimoine, soit un premier chantier de 25 000 unités en 5 ans après le premier conflit mondial, puis un second encore plus grand de 60 000 unités entre les deux guerres. (1)

À titre d’exemple Montréal, une ville comparable en dimension et en population, compte 61 500 unités en HLM, en coopératives d’habitation ou détenus par des organismes sans but lucratif (OBNL). L’équivalent de 7,9% de l’ensemble de son parc immobilier. Loin du 62% de Vienne, on en convient. Lorsqu’on s’éloigne de la Ville de Montréal, un peu partout au Québec, les chiffres en logements sociaux et communautaires sont encore bien plus faméliques. (2)

Autre fait intéressant à Vienne est que le logement dit social, n’est pas nécessairement juste pour les moins nantis, le nombre peut sûrement le justifier. Le terme social n’est pas associé à pauvreté. Ce que l’on souhaite c’est qu’il y ait une mixité. Bien sûr différentes catégories de logements sociaux se louent à différents prix, mais même les plus luxueux d’entre eux, sont bien en deçà du prix du marché. Dans un tel contexte les viennois n’ont pas le même appétit pour l’acquisition d’une propriété. Et les logements sociaux de Vienne visent donc les 3 premiers quintiles des ménages, soit celui à faible revenu mais aussi ceux de la classe moyenne. Voir à ce sujet le rapport d’étape du Chantier Montréal abordable paru il y a quelques jours, où justement les ménages montréalais des 3 premiers quintiles ne peuvent accéder à un logement abordable (un logement abordable est celui qu’un ménage consacre moins de 30% de son revenu aux dépenses en logement).

Il aura fallu beaucoup de courage politique et une constance dans les orientations, pour que Vienne (la rouge) arrive à un tel résultat. Par contre, rappelons que les pouvoirs et les ressources de Vienne ne sont pas les mêmes que Montréal.

À titre d’exemple avec des pouvoirs d’état, la ville de Vienne a pu implanter un impôt sur le revenu des ménages de 0,5% qui est consacré à l’habitation sociale.

Bien que Montréal agit et met l’habitation en priorité ces dernières années, elle ne pourra arriver seule à se donner des objectifs d’abordabilité pérenne plus ambitieux, sans l’aide des gouvernements supérieurs. Le laisser-aller du programme Accès-Logis au cours de la dernière décennie et même son abandon récent par la ministre de l’habitation, n’augure rien de bon. Malgré cet état de fait plusieurs acteurs de la société civile se mobilisent avec des villes pour trouver des solutions.

Il ne s’agit pas d’arriver à 62% du parc hors marché (ce que Vienne a atteint en plus d’un siècle), mais d’avoir des ambitions à moyen terme qui pourraient faire monter la part de logements protégés de 7,9% à 20% ou même 25%, ce qui serait un but possible à atteindre, si tous les acteurs et actrices de la société travaillaient dans le même sens.

Une crise du logement telle que vécue présentement au Québec, dicterait sans doute des décisions et des actions gouvernementales demandant beaucoup de courage politique, mais surtout une vision claire de ce qu’apporte dans une société d’avoir un toit sain et abordable pour toute sa population.

Richard Ryan

Consultant en habitation

(1) https://www.lapresse.ca/actualites/2021-10-13/la-presse-en-autriche/logement-social-les-lecons-de-vienne.php

(2) https://portail-m4s.s3.montreal.ca/pdf/repartition_2021_des_logements_sociaux_et_communautaires.pdf

Autre référence:

Cahier métropolitain sur l’habitation dans le Grand-Montréal réalisé par la Communauté Métropolitaine de Montréal